Le masque

seven theatre masks laid out in a circle on a brown wooden table
Matthew J. Lemay

4 minutes de lecture 

Cet article a été initialement publié en 2015.

En tant que personne autiste, je suis toujours conscient d’être atypique dans un monde majoritairement neurotypique. Je vois le monde sous un autre angle et mon cerveau fonctionne avec un système d’exploitation complètement différent. Ce fait est tout aussi irréfutable que de dire « le ciel est bleu » ou « l’herbe est verte ». C’est tout simplement comme ça.

Par conséquent, je dois m’adapter. On m’a souvent dit que j’étais doué pour jouer la comédie et que je pourrais être acteur. C’est logique, puisque je joue essentiellement un rôle tous les jours de ma vie. De plus, le rôle que j’incarne s’avère parfois beaucoup plus difficile qu’un rôle dans n’importe quel grand film hollywoodien ou spectacle de Broadway.

Par nature, je suis une personne très directe. Je suis d’une honnêteté brutale et j’ai des opinions arrêtées. Bref, je dis presque tout ce que je pense. Mon comportement est par moments rigide ou automatique, j’ai l’habitude de serrer les poings ou de me tordre les mains. De plus, ma passion pour la culture japonaise fait en sorte que j’ai tendance à m’incliner légèrement lorsque je salue quelqu’un, comme le veut la coutume japonaise. De plus, mon trouble auditif m’oblige parfois à me pencher vers l’avant, tête tournée vers la droite, afin que la meilleure de mes deux oreilles puisse saisir chacune des paroles de mon interlocuteur.

Ce ne sont que quelques-unes des idiosyncrasies sociales qui font partie de mon quotidien. À mes yeux, elles ont du sens. Il s’agit de mes réactions naturelles. D’ailleurs, j’ai une raison pour chacune d’elles, mais elles me font également paraître capricieux, difficile d’approche et d’humeur changeante. Cependant, une fois que l’on apprend à me connaître, on se rend compte que rien n’est plus faux.

C’est pourquoi, quand je suis en public, je suis contraint de porter un masque. Considérez-le comme une version invisible des masques que les gens portent à un bal masqué ou à Halloween, car c’est souvent l’effet ressenti. Je détends les muscles de mon visage, je garde la tête orientée vers l’avant, je laisse mes mains ouvertes balancer de chaque côté de mon corps, je combats l’envie de m’incliner et je tiens ma langue, à moins que l’on me parle, en fredonnant souvent un air pour garder ma bouche occupée. Par-dessus tout, je m’efforce de voir les choses d’un point de vue neurotypique.

Je me pose la question « Que ferait une personne neurotypique? » et je fais de mon mieux pour agir ainsi.

Bien entendu, c’est généralement plus facile à dire qu’à faire, surtout si l’on considère que les connexions de mon cerveau se font d’une manière totalement différente de celle de la majorité des gens.

Pour ces raisons, je préfère sortir avec au moins une personne, voire un groupe de personnes. Cela permet de me garder assez occupé, de sorte que je ne réfléchis pas trop à chaque interaction ou règle à suivre. De plus, mes accompagnateurs peuvent me corriger quand ils voient que j’adopte mes habitudes ou mes comportements atypiques que beaucoup de gens neurotypiques considéreraient comme étant maladroits, excentriques ou déconcertants. Parfois, les membres de ma famille (tous neurotypiques) iront même jusqu’à imiter mes faits et gestes pour que je prenne conscience de la manière dont j’agis.

Cette stratégie fonctionne assez bien… du moins, la plupart du temps. Après tout, je suis loin d’être infaillible, peu importe le nombre de fois où j’ai souhaité l’être. Et ces jours-là, je dois dire que celui qui a écrit que l’on n’est jamais aussi bien que chez soi, phrase culte du Magicien d’Oz de 1939, n’aurait pas pu être plus juste.

Porter un masque n’est jamais chose aisée, surtout pour une personne autiste. Nous sommes des êtres routiniers, qui ont grand besoin de structure et d’habitudes. En dévier est parfois difficile, c’est le moins qu’on puisse dire, mais nous vivons dans un monde majoritairement neurotypique, et s’y adapter est un mal nécessaire si on aspire à quoi que ce soit. Parfois, on n’a d’autre choix que d’enfiler le masque et de faire avec, aussi injuste que cela puisse paraître. J’ai espoir, toutefois, qu’avec toute la couverture médiatique et le dialogue récent entourant l’autisme et son spectre immense, on pourra éventuellement laisser les masques derrière nous… sauf peut-être à Halloween.

J’encourage chaque parent, tuteur, famille, ami et amie de personnes autistes à se rappeler que leur système d’exploitation fonctionne différemment

D’ici là, j’encourage chaque parent, tuteur, famille, ami et amie de personnes autistes à se rappeler que leur système d’exploitation fonctionne différemment et que chaque comportement ou routine a sa raison d’être, peu importe à quel point cela semble insensé.

Créez un milieu réconfortant où le masque peut tomber et où la personne peut être elle-même, car elle porte déjà son masque assez souvent en public.

Et j’implore les personnes neurotypiques qui considèrent que c’est acceptable de regarder de haut une personne autiste de vous poser cette question :

Si les rôles étaient inversés et qu’être autiste était la norme, seriez-vous capable de porter un masque ?

 

Au sujet de Matthew J. Lemay

Matthew J. Lemay est un auteur ayant reçu son diagnostic du syndrome d’Asperger à l’âge de 17 ans. Il écrit depuis plus de 6 ans et travaille actuellement sur plusieurs projets, dont son premier roman. Il s’implique beaucoup auprès de l’organisme Integrated Autism Consulting depuis son diagnostic.

Lorsqu’il n’est pas en train d’écrire, Matthew aime nager, faire du vélo, aller marcher, écouter de la musique, regarder des films et des séries télévisées, apprendre de nouvelles langues et passer du temps en famille.

Il habite actuellement à Barrie, en Ontario.

 


La traduction de cette ressource a été effectuée par Anne-Marie Couture, Gaëlle Paré Hamelin, Audrey Perron Roy, Anne-Marie Plourde et Marie-Ève Rousseau. Université Laval, de l’Université Laval, sous la direction d’Alexandra Hillinger. Autisme Ontario souhaite les remercier pour leur généreux travail, qui rend ces informations importantes accessibles aux francophones de l’Ontario.


 


 

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